Bricolage sans frontières 4


Le bricolage et le timing sont les deux tortionnaires du marin, à moins que celui-ci ne soit milliardaire (en ce cas, il fait convoyer son bateau où et quand bon lui semble, et inutile de préciser que ce n’est pas lui qui débouche ses toilettes).

Nous connaissions le dicton anglais qui dit que la plaisance consiste principalement à bricoler sur son bateau dans plein d’endroits différents, mais il sonnait comme une boutade à nos yeux. Pensez donc. Vivre sur un voilier, c’est un peu comme habiter dans une grande maison qu’on aurait placée dans un milieu particulièrement hostile.

D’abord, la dite maison est en permanence secouée dans tous les sens, sans parler des vibrations. Si on se dit « ça devrait tenir », c’est que ça ne tiendra pas. Si on se dit « ca tiendra », ça ne tiendra probablement pas non plus. Il y a deux jours, j’ai fixé une diode un peu à l’arrache avec un raccord rapide et un peu de chatterton. « Ça devrait tenir ». Deux jours ! Evidemment, les anciens proprios successifs nous ont laissé une montagne de trucs qui « devraient tenir » comme un magnifique raccord de siphon d’évier fait à la cire (si si). Et pourtant, de l’avis de tous ceux qui ont eu l’occasion de nous donner un avis plus éclairé que le nôtre, Lucy a été très bien entretenue.

Ensuite, un voilier est un véritable plat de spaghetti. On pense aux cordages, bien sûr, mais au final c’est bien la seule partie simple. Elle est presque intégralement visible, chaque cordage a sa couleur, son diamètre et son nom «choque la contre écoute de génois, reprend le 3ème ris, n’oublie pas la bastaque, etc. ». Non, les deux vrais coupables sont les circuits d’eau et d’électricité.

de bas en haut : le chat des voisins, le 3ème ris, l’écoute auto-vireuse de foc, le 1er ris, la drisse de trinquette, et la bosse de hâle-bas. A vos souhaits

Vincent, qui nous a vendu Lucy, disait que son bateau idéal n’aurait pas eu d’eau sous pression. Une unique pompe à pied connectée à un unique réservoir d’eau douce lui aurait suffi.

Retour 6 mois en arrière. Nous sommes en mai, nous venons d’acheter Lucy, et nous devons l’abandonner pour deux semaines à Povoa de Varzim, juste au nord de Porto. Il est 23h, et notre vol décolle demain matin pour Paris. Je me décide à vider la cuve à eaux grises située sous notre lit à la main, car la pompe chargée de le faire ne fonctionne pas (à l’époque, la pompe sur laquelle je m’acharnais vidait une autre cuve… Hasard, la « bonne » pompe était HS. J’étais donc arrivé de manière fausse au bon diagnostic (je me demande si ça arrive parfois à Sarah dans sa pratique). Je soulève donc le plancher – tous les planchers sont amovibles à bord d’un voilier bien conçu. Ca permet de localiser rapidement une voie d’eau, et aussi de stocker une quantité assez impressionnante de vivres et objets divers. En plus, niveau performances, plus les poids sont bas, mieux c’est, d’où par exemple les quilles lestées sur certains voiliers. Mais je digresse.

Quitte à digresser, autant que ce soit officiel. Ceci est donc la section « contexte ».

Un peu de vocabulaire

Sur un voilier, on essaye d’avoir un centre de gravité le plus bas possible, d’ou la lutte contre les « poids dans les hauts« . Des ouvrages entiers ont été écrits sur le sujet, mais dans les grandes lignes, au près, plus on est toilés (c’est à dire plus on a de surface de voile), plus on a de puissance (bon pour la vitesse) et plus on gîte (bon pour prendre des photos stylées mauvais au delà d’un certain seuil). Pour gîter moins, il faut soit réduire la voilure (on dit prendre un ris), soit mettre du poids de l’autre côté, en particulier des équipiers dont on dit qu’ils sont à la contre-gîte ou de gros réservoirs remplis d’eau appelés ballasts, ou n’importe quoi d’autre (on dit matosser) ou enfin augmenter le couple de redressement du navire en mettant du poids en bas. D’où la quille lestée du paragraphe précédent, ou les 4 tonnes de plomb à fond de cale de Lucy.

La baille à mouillage, en général située tout à l’avant du bateau, est un bac servant à stocker la chaîne, tandis que l’ancre est en général stockée sur le davier, sorte de pivot habituellement situé à l’étrave sur le pont. Certains marins prudents stockent leur ancre à l’intérieur de la baille à mouillage, ce qui ne peut être que bon pour les performances (cf paragraphe précédent) et peut en sus éviter certaines mésaventures, tandis que d’autres considèrent qu’avoir une ancre prête à être larguée à tout instant est un gage important de sécurité, en tout cas près des côtes. Pour l’anecdote, des amis nous on raconté avoir entendu à la VHF un plaisancier en panne de moteur à une encablure de rochers menaçants à qui le CROSS avait suggéré de mouiller son ancre en attendant les secours se plaindre que ça n’avait pas marché : il avait vidé un seau d’eau de mer sur son ancre.

Il faut donc un trou dans le pont pour laisser passer la chaîne entre l’ancre et la baille. Quand il y a un peu de mer, il arrive souvent que des vagues balaient le pont.

Il existe différents systèmes astucieux permettant des ouvertures de ventilation malgré tout, comme les dorades, mais pour la chaîne, point de salut ; trou il faut, et trou il y a. Cet orifice s’appelle l’écubier, et est en général situé sous le guindeau. Le guindeau est le treuil servant à relever l’ancre. Il peut être électrique ou manuel, actionné par des manivelles ou une brinquebale, et quand son axe est vertical – comme sur Lucy – c’est un cabestan, mais en pratique tout le monde dit guindeau. Mais ça reste un bon moyen de faire son intéressant. La baille à mouillage se remplit donc parfois d’eau de mer – soit à cause des vagues, soit simplement parce qu’on y stocke une chaîne mouillée quand on relève l’ancre – et il faut bien qu’elle se vide.  En général, on fait un petit trou dans la coque au fond de la baille à mouillage, 10cm au-dessus du niveau de l’eau, on accepte d’embarquer un peu d’eau par là quand il y a des vagues, et on laisse faire la gravité. Ce trou-là s’appelle un évent.

Une cuve à eaux grises permet de stocker les eaux usées (donc celles qui viennent des douches, éviers et lavabos, mais aussi celles récupérées en fond de cale) avant de les rejeter à la mer. C’est obligatoire pour les voiliers construits après 2008, mais Lucy – bien plus vieille que ça – en a une tout de même, bien élevée qu’elle est. En théorie, ces cuves ne doivent pas être vidées à moins de 3 milles des côtes. En pratique, la nôtre se vide dans le puits de dérive, difficile de faire mieux en termes de furtivité. A noter qu’on a aussi une cuve à eaux noires (vous avez deviné à quoi ça sert), avec une évacuation furtive dans l’échappement moteur…

Plomberie et spaghetti

Un labyrinthe aqueux typique sur un voilier. On notera les tentatives des propriétaires successifs d’annoter chaque tuyau …

Je soulève, donc, et je constate avec effroi qu’il y a là 20cm d’eau, qui plus est salée. Lucy prend donc l’eau. J’écope le tout, et constate que ça ne se remplit pas. Mon cœur ralentit un peu, mais cette eau a tout de même bien dû venir de quelque part …

En fait, le bas de notre baille mouillage étant situé sous la flottaison, il est impossible d’utiliser un évent, et elle se draine donc dans la cuve de relevage de la salle de bain avant, qui elle-même se vide via une pompe dans la cuve à eaux grises, située plus haut. Or, le tuyau reliant le bac à douche à la cuve n’étant pas équipé d’une vanne anti retour, l’eau montait inexorablement dans le bac. Bien entendu, la bonde de la douche était mal serrée, et l’eau ruisselait donc dans les fonds. Que d’heures pour parvenir à cette conclusion … Depuis, j’ai installé un détecteur de niveau afin de vider automatiquement la cuve avant qu’elle ne déborde dans la douche, mais ça marche très mal à la gîte (dommage, c’est souvent là qu’on prend de gros paquets de mer sur le pont). J’ai aussi installé une vanne anti-retour, mais elle semble considérer que la pression d’eau n’est pas suffisante pour officier. Bref, la solution retenue pour l’instant est de comprimer une boule anti-stress dans l’écubier. Sarah est devenue super forte à ce petit jeu-là.

Toute la plomberie est à l’avenant, mais ce n’est rien à côté du capharnaüm électrique qui règne en général sur un voilier.

Electricité et égyptologie

A droite, ce qu’il faudrait faire, à gauche, ce que tout le monde fait.

Ma meilleure histoire à ce sujet nous a été contée par un vieux couple anglais navigant depuis toujours. Ils avaient, au large, senti une odeur suspecte dans la cale moteur, et en effet il y avait de quoi, puisque celui-ci était en feu. Au fond de la cale moteur, coupables ou victimes innocentes de l’incendie, une demi-douzaine de fils de gros calibre avaient fusionné pour ne plus former qu’un large tronçon cuivré. Le seul équipement du bord qui cessa de fonctionner à la suite de ce regrettable incident fut le feu de navigation arrière.

Cette histoire n’est pas anecdotique. Le passage des câbles sur un voilier est une telle corvée qu’on rechigne toujours à les enlever quand leur utilité disparaît, en se disant qu’ils serviront un jour. Prévoyants, certains d’entre eux ont eu la bonté de munir leurs vestiges filaires d’étiquettes indiquant leur fonction, mais le temps a fait son office, et j’invoque régulièrement Champollion lors de mes séances – quotidiennes, donc – de bricolage.

Le sujet « électricité » est encore compliqué par l’utilisation du 12V, qui implique de choisir entre câbles à grosse section et fusibles, ou incendie (P=U*I, rappelez vous…), et ce d’autant plus quand les gaines sont remplies à ras bord, ce qui n’est pas top en terme de dissipation thermique, mais pourra être utile en 2042 quand on voudra réutiliser un cable. Et bien sûr, la moindre fuite électrique sur une coque alu peut tourner à la catastrophe. La légende veut qu’un Ovni neuf ait coulé un mois après sa mise à l’eau dans un port particulièrement malsain du point de vue électrons. Je crois bien que je tiens le sujet de mon prochain article d’ailleurs …

L’inox, inoxydable sauf quand il s’oxyde.

Ce tableau ne serait pas complet sans dire un mot de l’air marin qui attaque tout, du sel destructeur, et de l’eau de mer qui ne sèche jamais.

Les vis sont en A4, la charnière non…

Jusqu’à récemment, je pensais que l’inox était inoxydable. Faux, faux, archi-faux. L’inox existe en plusieurs versions, dont seule l’A4 est adaptée au milieu marin, c’est-à-dire qu’elle rouille moins que l’A2, que les fabricants déconseillent d’utiliser à moins de 50km (sic) des côtes. Il y a deux semaines, au large du cap st-Vincent, Lucy s’est pris une méchante déferlante. 20 cm d’eau dans le cockpit, et un bel effet cascade le long du capot de descente. Nous n’avons pas pensé à nettoyer de suite, et voici ce qu’il est advenu en trois semaines de la charnière de la porte des toilettes (ci contre).

Je pourrais aussi vous parler des vis. En aluminium, exposées à un tel traitement pendant quelques années, elles deviennent molles ou cassantes (ou les deux à la fois, je ne sais pas trop). C’est ainsi que nous avons dû remplacer les 140 vis des panneaux de notre roof par des vis en inox. Les vis en inox (inox A4, donc) sont bien plus résistantes, mais elles se soudent littéralement à l’aluminium dont est faite Lucy en présence d’eau. Il est donc de bon aloi de tartiner généreusement la vis d’un produit anti corrosion type Tef-Gel avant de l’insérer, sous peine de devoir y aller à la perceuse quand viendra le temps de dévisser.

je savais bien qu’il fallait garder les lunettes anti mal de mer !

Je pourrais continuer longtemps à déblatérer sur le sujet, mais il est tard, et il faut que je rentre chez moi j’ai une jauge d’essence à refixer convenablement, satanées vibrations. La conclusion de cette longue diatribe, c’est qu’il faut aimer bricoler et en avoir le temps. J’ai troqué mon costume d’informaticien contre un job d’électricien-plombier-soudeur. Jack of all trades, master of none. Si l’on n’aime pas bricoler, il faut être prêt à se passer de tout le confort moderne. Exit l’eau sous pression et le 220V à bord. Certains choisissent même de se passer de frigo et de faire leurs besoins dans un seau. Sans surprise, ceux-là n’en sont souvent pas à leur premier bateau. L’argent économisé leur permet d’aller au resto, et ils voient du caca 1mn par jour tous les jours, contrairement à moi qui en voit 4h une fois par an quand il faut changer le mécanisme de la chasse d’eau…

Heureusement, hormis les 4 heures susmentionnées, j’adore bricoler.

 

 


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4 commentaires sur “Bricolage sans frontières

  • Marcel Tores

    Et oui… Les seules solutions viable sont low tech, une baguette dans les reversoirs pour toute jauge (100% fiable et incassable), pompes à pied pour l’eau (en allant plus à l’est vous aurez un mal de chien à trouver de l’eau à quai), les chiottes chimiques (genre campa potti à 50€) avec décharge directe par pompe manuelle une fois au large (pas de possibilité de pannes ou de fuites)… et surtout quand on veux que ça dure. adopter la formule.. Dis moi ce que tu veux je t’expliquerai comment t’en passer.
    Regalez vous et surement à un de ces jours sur un quai improbable.
    Marcel de « Licorne Pacifique »

    • B Auteur de l’article

      le low-tech est en effet une possibilité, l’autre étant a mon avis de tout construire très solide, de doubler les systèmes critiques, et de les connaitre assez pour pouvoir les réparer en cas de panne. C’est plus cher et plus chronophage, mais comme mentionné ci-dessus j’adore bricoler 🙂

      On sera ravis dans débattre autour d’un verre si nos routes se croisent !

  • loulousteven

    Salut capitaine’ les lunettes que tu porte ne serait-elle pas pour éviter le mal de mer ? Es tu sujet au mal de mer si tel est le cas comment fais-tu pour le vaincre moi-même ayant un projet de navigation je suis sujet au mal de mer ce qui m’angoisse de temps en temps

    • B Auteur de l’article

      Bien vu, ce sont en effet des lunettes anti mal de mer. Le précédent proprio les avaient achetées pour sa femme et ses enfants, pour un résultat très mitigé. En l’occurrence, j’avais besoin de lunettes pour me couvrir les yeux pour scier, et je ne trouvais pas mon masque de protection habituel, d’ou les lunettes, qui n’ont absolument aucun effet sur moi en mer.

      Pour le mal de mer en général, il semble que tout le monde y soit plus ou moins sujet selon les circonstances. On dit qu’il est favorisé par les F (Faim, soiF, Frousse, Fatigue, Froid). On dit aussi qu’il est impossible d’avoir le mal de mer au lit. Bref, on essaye d’éviter à bord les F, on va se coucher dès qu’on se sent mal, et on prend des médocs anti mal de mer préventivement quand la météo annonce beaucoup de houle (Stugeron ou Mercalm, le premier étant plus efficace mais introuvable en France, disponible en Belgique et en Suisse).

      On s’habitue aussi, et on est moins sujets au mal de mer quand on navigue plusieurs jours à la suite. Enfin, le poids de la responsabilité sur les épaules du chef de bord à tendance à le protéger des vomissements … c’est en tout cas notre expérience !

      Quelles navigations prévois-tu ?