Fin d’année en Andalousie, churros et grains de raisin 2


Mes deux références pour Cadix (Cadiz en espagnol), étaient « La belle de Cadix » de Luis Mariano (air qui m’a trotté dans la tête durant les 10 jours de notre séjour à Cadix) et « Cadix, ou la diagonale du fou », un très bon livre d’Arturo Pérez-Reverte. Les environs immédiats de la marina « Puerto America » ne font pas rêver. C’est le domaine des grues, sans ailes malheureusement. En revanche la promenade qui conduit à la ville offre un panorama magnifique sur l’océan, faisant oublier la petite demi-heure de marche pour atteindre les remparts et la Plaza de Espana, première d’une longue série de places à l’Andalouse, parsemées de jardins, de bancs, de fontaines et de statues, et reliées entre elles par un labyrinthe de ruelles piétonnes dans la vieille ville.

Cathédrale nouvelle de Cadix

Nous tombons par hasard sur le temple local du chocolate con churros, un bar appelé « la Marina », situé sur la place du marché, bondé vers 10 heures du matin d’espagnols engouffrant avec gourmandise de longs et fins churros. Nous partageons une portion à deux, trempons nos friandises dans le chocolat, et nous voilà rassasiés pour plusieurs heures, prêts à découvrir les jolies façades et les vieux monuments, entre deux vitrines décorées pour Noël. Nous sommes complètement décalés par rapport à cette fête, d’abord en raison du temps largement printanier, puis de l’éloignement de nos proches, et enfin par désintérêt volontaire de la consommation inutile. Il faut dire que la place étant limitée sur Lucy, nous avons appris de notre déménagement que nous possédions beaucoup trop de choses : vêtements, vaisselle, bibelots, babioles… La quantité d’objets que nous avons vendus/donnés/mis à la rue nous a effarés, et vaccinés contre les achats impulsifs vite oubliés au fond d’un placard !

Emménagement sur Lucy (numéro 1 sur 3)

En rentrant de notre excursion citadine, nous avons trouvé un petit mot sur le capot de la descente, notre porte d’entrée. Une invitation à faire connaissance avec des français, au ponton B ! Le lendemain, armés de thé et de petits gâteaux nous toquons à la coque de Paa. L’équipage se compose de Pierre, Aline, Liz (5 ans) et Tom (1 an). Pierre et Aline sont tous les deux anciens moniteurs de voile, et ils ont plein de conseils judicieux à nous donner, d’autant plus qu’ils vivent sur leur bateau depuis presque 3 ans, à le retaper et à le rendre accueillant pour une famille avec enfants en bas âge. L’heure du dîner sonne déjà et nous proposons un goûter/apéro sur Lucy le lendemain, le 24 décembre. Les discussions à bâtons rompus s’enchaînent, et ayant toujours des choses à partager, tant verbales que matérielles, nous planifions d’autres rendez-vous culinaires.

Dans le monde des bateaux de voyages, les conseils et les services s’échangent, mais aussi les objets : anneaux de friction, résistance électrique, vêtements d’enfants… C’est un monde dans lequel nous nous sentons très à l’aise, fait de solidarité et de générosité. Nous sympathisons également avec nos voisins de ponton immédiats, Jean le Suisse et Armelle, jeunes retraités qui voguent à bord d’un vieux Joshua (le bateau de Moitessier), un magnifique ketch en acier de 12 mètres, appelé Aléane.

Nous avons très envie d’aller visiter Séville, mais nous hésitons sur les modalités : remontée du Guadalquivir en bateau ou train Cadix-Séville. La première possibilité a l’avantage d’emmener notre maison-bateau avec nous, et il paraît que le port, en plein centre-ville, est agréable. L’inconvénient est la remontée du Guadalquivir au moteur (9 heures), en croisant des cargos, et avec les contraintes de la marée. Les horaires favorables sur les prochains jours nous obligeraient à naviguer de nuit, et nous abandonnons cette idée. Nous réservons une nuit dans un hôtel avec baignoire (principal attrait de toute habitation pour nous qui adorons bouquiner dans un bon bain chaud…), des billets de train, et nous voilà partis au petit jour le 25 décembre pour la capitale de l’Andalousie. Le trajet de la marina à la gare nous fait passer à côté d’une série de boîtes de nuit, desquelles sortent des files de jeunes zombies endimanchés, titubants et légèrement vêtus.

Nous assistons au lever du soleil sur les marais salants qui bordent Cadix, et nous arrivons une heure et demie plus tard à Séville. Les deux jours que nous y passons sont consacrés à des balades au soleil dans les rues et ruelles de cette ville magnifique, dont les monuments rivalisent de majesté et d’histoire. Nous entendons en passant à côté de l’immense cathédrale des chants, et entrons jeter un œil. Il doit s’agir de la messe de Noël. Les prêtres sont enfermés derrière des barreaux face au public, tout comme les musiciens qui sont, eux, derrière l’assemblée. C’est étrange, et ça ne semble pas dater du plan vigipirate… L’intérieur est, comme l’extérieur, à couper le souffle. Nous nous demandons pourquoi nous les français faisons tant de cas de Notre Dame !

Petit morceau de la cathédrale de Séville Notre-Dame du Siège

La faim commence à nous tenailler (le petit-déjeuner pic-nic pris dans le train aux aurores est déjà loin), mais il y a un léger problème. Nous faisons le tour des (rares) restaurants ouverts en pensant « c’est le 25 décembre, c’est normal », mais nous essuyons une ‘faim’ de non recevoir à chaque fois. Il est 12h30, et le restaurant le plus favorable ne commencera le service qu’à 13h15 au plus tôt… Nous patientons avec un chocolate (sans churros cette fois-ci), et nous ruons sur le restaurant en question dès 13h10. Heureusement les plats ne tardent pas trop et sont délicieux (j’ai choisi de la morue, que je répugnais à goûter au Portugal, écoeurée par les étals de morue séchée qui embaumaient tous les magasins d’alimentation, de la supérette au grand supermarché.

A Séville il y a des orangers partout, emblématiques de l’Andalousie

Éreintés par les kilomètres parcourus dans la ville, nous retrouvons avec plaisir notre chambre d’hôtel, spécialement sélectionnée pour sa fameuse baignoire. Après quelques chamailleries de bon aloi nous nous répartissons les tours, et je profite du premier pour bouquiner dans les vapeurs d’un bain bien chaud… (j’en reprendrai d’ailleurs un deuxième le lendemain matin avant le petit-déjeuner buffet). Le soir, après dîner, nous voyons un flot de gens se dirigeant tous vers le même endroit. Curieux nous les suivons. Il s’agit d’un son et lumières de Noël, plutôt destiné aux enfants à voir la composition de la foule. Peu convaincus, nous regagnons nos pénates, et nous écroulons dans la chambre qui doit faire les 2/3 de la taille de Lucy !

Ah le plaisir de bouquiner dans un bain… Vivement les mers chaudes !

Le lendemain nos pieds nous mènent vers l’Alcazar, château emblématique de Séville, dont j’ai des souvenirs de jardins et de fontaines pavées d’azulejos. Mais devant la queue qui fait presque le tour du pâté de maison (tout comme celle pour visiter la partie centrale de la cathédrale), nous estimons qu’il y a beaucoup d’autres plaisirs pour les yeux qui ne nécessitent pas de faire le pied de grue (ailée). Et nous ne sommes pas déçus quand nous arrivons Plaza de Espana, qui est à celle de Cadix ce qu’une flaque est à la mer. Il s’agit d’un immense bâtiment tout en longueur flanqué de tours basses, avec des bassins sur lesquels circulent des barques et une énorme fontaines, et des jardins immenses tout autour, dans lesquels les aras ont remplacé les pigeons. Nous passons l’après-midi à lire, nous promener, et découvrir de nouveaux pavillons cachés dans les jardins, qui ont servi pour l’exposition universelle de 1992.

La plaza de Espana, incroyable bâtiment construit pour l’Exposition ibéro-américaine de 1929

L’heure de reprendre le train arrive à grands pas, et nous rentrons à Cadix retrouver l’équipage de Paa avec qui nous avons un rendez-vous culinaire : poulet au curry. Les bricolages, balades, articles et dîners se suivent mais ne se ressemblent pas (tartiflette, couscous…) et c’est déjà le 31 décembre. Des vents forts d’est nous ont gardés à Cadix pour l’instant, mais après de savants calculs prenant en compte les marées, les courants générés dans le détroit de Gibraltar (qui peuvent aller jusqu’à 4 nœuds, et ne doivent donc pas être négligés!), les vents, et la contrainte de traverser Gibraltar de jour en raison du trafic maritime intense dans ce goulet, nous avons fixé notre départ au lendemain matin tôt, avec une étape d’une nuit à Barbate.

Un banc au soleil c’est pas mal aussi pour lire !

Après un nouveau dîner copieux sur Paa, nous rentrons nous coucher, et décidons de reporter au lendemain le gobage du raisin, « las uvas de la suerte », tradition espagnole qui veut qu’on mange un grain à chaque coup de cloche à minuit (en essayant de ne pas s’étouffer, et je pense immédiatement aux fausses-routes et aux services d’urgences qui doivent recevoir leur lot de raisins dans la trachée – déformation professionnelle). Les supermarchés vendent d’ailleurs (assez cher) de petites boîtes de 12 grains de raisin sans pépins déjà épluchés pour faciliter la tâche.

Nos nouveaux amis de Paa viennent le lendemain matin nous dire au revoir et larguer nos amarres, et c’est avec un pincement au coeur que nous leur retournons leurs saluts, en réalisant, un peu tard, que nous n’avons même pas pensé à prendre de photos avec eux ! Nous espérons les retrouver plus tard en Méditerranée, mais les programmes de navigation changeant presque aussi vite que la météo (c’est d’ailleurs cette multitude de possibles qui nous ravit), il est impossible de se donner un rendez-vous…

Ce 1er janvier 2017 est une nouvelle belle journée ensoleillée, et nous sommes le seul voilier à l’horizon. Cette traversée calme est l’occasion de faire le point sur notre nouvelle vie, loin de l’agitation des villes (ou alors juste à petites doses quand nous avons envie d’en visiter une !), libre des contraintes du travail de ‘bureau’, nomade. Nous réalisons que nous sommes devenus des bohémiens des mers, et ça nous convient très bien ! Bonne année à tous, et une phrase de St Exupéry pour conclure : « Fais de ta vie un rêve, et de ton rêve une réalité ».


A propos de S

S. est médecin urgentiste et journaliste scientifique, passionnée de lecture, de voyages, de musique, de thé et de chats. Et maintenant de bateaux !


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2 commentaires sur “Fin d’année en Andalousie, churros et grains de raisin