D’Ajaccio à Porto Vecchio


L’anse de Roccapina est un endroit magique le samedi matin. Les charters sont tous au port, et les vacanciers dans l’avion ou le ferry. Une immense plage encaissée entre deux massifs verdoyants ponctués de rochers ocres dont le célèbre Lion de Roccapina. La nuit, la voie lactée balafre faiblement le ciel étoilé, et les feux de mât de nos quelques compagnons de mouillage semblent juste être des astres plus brillants que les autres. Malheureusement, nous ne sommes pas samedi. Les gros catas de location sont partout (jusqu’à 72 pieds !), et la plage est ponctuée de parasols ; c’est que la calanque est accessible par la route.

L’anse de Roccapina, avec son fameux lion – pas forcément très flagrant – en haut à gauche

Il est midi, et un gros bateau à moteur (un Prestige 500, quel drôle de nom) vient jeter son ancre 2m derrière nous. On comprend bien qu’il ne veut pas se rapprocher trop de la plage en culant, mais tout de même, il est vraiment très près. Un peu plus tard, je pique une tête (l’eau est à 29°, comme l’air), et j’en profite pour jeter un coup d’œil à l’ancre de nos voisins, mais impossible de la trouver ; tout juste une vague traînée dans le sable, que je suis sur quelques dizaines de mètres avant de tomber sur la fameuse ancre, délicatement posée, à l’envers, sur le sable. S’ils avaient été plus loin de la plage j’aurais pris la gopro pour faire une petite vidéo souvenir, mais là ça urge vraiment, puisque j’avais presque pied à l’arrière de leur bateau (moins de 2m de fond donc, puisque j’avais « palme »)… ils ont remouillé un peu plus loin en vérifiant trois fois leur ancre !

Nous partons de bon matin vers le Nord pour Ajaccio, où un marathon nous attend : il nous faut faire le passeport d’Elaya, l’emmener chez le pédiatre, avitailler, récupérer nos amis Julien et Marie dont le ferry arrive le lendemain … Finalement, tout se déroulera comme sur des roulettes, à l’exception de l’avitaillement qui se passera encore mieux que prévu puisque le patron du biocoop nous déposera gentiment en voiture à l’entrée de notre ponton, et de l’opération passeport qui nous a suffisamment occupés pour faire l’objet d’un paragraphe à part.

Tout avait pourtant bien commencé, nous sommes à l’heure, et les dames de l’accueil sont très sympathiques. Malheureusement, le type avec qui nous avons rendez-vous l’est moins ; c’est même une caricature. Il envoie bouler ses collègues qui lui demandent des renseignements, passe son temps à se plaindre et à soupirer, et semble encore plus rigide que le logiciel de la préfecture. Il paraît que la photo d’Elaya, pourtant réalisée par un photographe, n’est pas aux normes, et que le fameux logiciel l’a a émis des doutes sur sa validité, et qu’il ne peut donc pas garantir qu’elle sera acceptée. Toute demande de précision supplémentaire sera accueillie par un « la photographie n’est pas aux normes, je ne peux pas garantir… ». Il faut attendre que la demande soit éventuellement rejetée (10 jours) puis prendre un autre rendez-vous (1 mois d’attente), ou ne pas l’envoyer et prendre un autre rendez-vous tout de suite. Ça ne colle pas avec notre planning, mais notre interlocuteur ne veut rien entendre « la photographie n’est pas aux normes … ». Peu importe que nous soyons en voilier, et que l’on ne parle pas d’un adulte mais d’un nourrisson, « la photographie n’est pas aux normes…. ». Par chance, ses collègues sont plus sympathiques et l’une d’elle nous promet de nous prendre « entre deux » si la photo devait être rejetée. Manifestement, ce n’est pas un cas isolé, plusieurs de nos amis ayant eu des aventures de ce genre avec des fonctionnaires particulièrement obtus. Sans parler de l’utilité d’un passeport à part pour un bébé qui n’ira de toute façon nulle part sans ses parents, et qui dans un mois aura changé de tête, de taille, et de couleurs d’yeux … sans parler de la case « signature ».

des montagnes derrière des montagnes derrière des montagnes …

Nos amis récupérés, il nous faut nous décider entre la route du Nord qui mène à Calvi et celle de Bonifacio au Sud. Pour faire simple, sur la côte Ouest de la Corse, en général, il y a soit beaucoup de vent de Nord-Ouest (le fameux Mistral) et de houle, et la navigation est impossible avec un nouveau-né qui ne tient pas sa tête seul, soit pas de vent le matin et du Nord-Ouest modéré l’après-midi (c’est le « thermique », provoqué par la terre chauffée par le soleil qui chauffe à son tour l’air qui, plus léger, s’élève et est remplacé par de l’air plus frais venant du large). Nous irions bien au Nord, que nous ne connaissons pas encore, mais ça impliquerait de faire du moteur, et nous nous décidons donc pour le Sud.

Nos batteries : il y a une fuite, mais où ?

Toutes les étoiles sont alignées, seule ombre au tableau, le testeur de fuite électrique de Lucy s’est illuminé. Il ne s’agit que de quelques milli ampères, mais ce qui pourrait sembler anodin est très sérieux sur un voilier en aluminium. Chaque milliampère qui fuite accélère l’électrolyse qui ronge notre coque. En temps normal, nous avons des anodes sacrificielles en Zinc qui, comme leur nom l’indique, se désagrègent en lieu et place de notre précieux aluminium, mais que la fuite soit trop importante, et même les anodes s’avèreraient impuissantes. Il y a quelque part un fil électrique pas suffisamment isolé de la coque, mais où ? Lucy est un véritable labyrinthe de fils, tous moins accessibles les uns que les autres… Bref, j’ai beau chercher dans les endroits les plus évidents, rien n’y fait, fuite il y a …

 

Notre route nous mènera à la Cala D’Orzu, puis à Campomoro, puis surtout à la Cala di Conca. Contrairement aux précédentes, celle-ci n’est pas accessible par la route, et ça change tout. Un énorme bloc de granit marque l’entrée, puis tout n’est plus que rochers et maquis. Julien récupérera pourtant un tee shirt au fond de l’eau lors d’une petite rando « PMT » comme disent les pros (palmes masque tuba). Nous croisons nettement moins de plastique ici que sur le continent, mais il y en a quand même trop…

Impossible de rater l’entrée de la Cala di Conca

Comme tous les jours, nous gardons un œil sur la météo, mais cette fois nous sommes coupés du monde. Pas de réseau du tout, et impossible de recevoir quoi que ce soit à la VHF. Même le CROSS Med en Corse ne nous capte pas, malgré ses antennes surpuissantes. La nôtre a beau être à 20m de haut, les falaises qui nous surplombent semblent avoir décrété un embargo sur les ondes. Même hissés en tête de mât, nos portables restent désespérément muets, tout juste recevons nous un SMS de Kawâne nous informant qu’ils vont se planquer côté Est pour le coup de vent … quel coup de vent ?? Bref, nous repartons de bon matin, décidés à remonter à Ajaccio avant que les choses ne se gâtent vraiment. Une heure plus tard, nous captons enfin la météo, et décision est prise de finalement partir vers le Sud pour aller à Porto-Vecchio, où nous serons abrités de la forte houle d’ouest qui doit se lever. Nous déposerons nos passagers à Bonifacio et ils remonteront en bus.

A l’entrée de Bonifacio, la capitainerie nous demande de rester en standby pour la sortie d’un superyacht de 70m. Le sur-place en milieu confiné est un peu notre hantise : Il y a du courant, il y a du vent, il y a des bateaux partout, et il faut pas mal de doigté pour éviter de dégommer un de nos voisins, ce qui au vu de leur peinture rutilante aurait coûté une petite fortune à notre assurance. Après une longue attente, et la sortie deux bébés de 40m, les bouches accouchent enfin d’un énorme bateau à moteur, aussi laid qu’impressionnant. Le ponton essence nous est enfin accessible, et par chance les pompistes donnent la priorité aux « gros » (tout est relatif) bateaux au milieu de la meute de petits semi-rigides. Nous déposons donc nos amis avec en cadeau l’ensemble de nos poubelles, passons à la caisse pour la première fois depuis janvier, et quittons l’enfer du port.

Un super yacht dans son élément naturel, à l’entrée de Bonifacio

Dans les bouches de Bonifacio, les yachts rutilants se suivent et ne se ressemblent pas, nous en verrons même un équipé d’un gigantesque toboggan ! Nous remontons vers Porto-Vecchio, et c’est finalement dans le golfe de Porto Novo que nous trouverons refuge pour laisser passer le coup de vent, qui s’illustre tristement en faisant partir en fumée plusieurs milliers d’hectares dans le Sud-Est de la France et en Haute-Corse. Le golfe est sauvage, très bien abrité, et il y a la 4G (de temps en temps)… bref, c’est parfait pour quelques jours !

Porto Novo, une bonne alternative au golfe de Sant-Manza un peu plus au Sud pour laisser passer un coup de mistral.

Quelques heures après notre arrivée, nous voyons au loin la silhouette familière de Kawâne qui a décidé de nous rejoindre pour quelques jours. La tentative d’apéro à leur bord tournera court, le vent ayant levé un clapot trop fort pour permettre la traversée d’Elaya. Je suis toujours obsédé par notre fuite électrique, et Fabien (le capitaine de Kawâne) me propose de passer me donner un coup de main équipé de son propre testeur (son bateau est aussi en aluminium). J’espérais que le mien débloquait, mais non, il y a bien une fuite. Après une journée passée à trifouiller dans les fonds, il faut se rendre à l’évidence, nous n’y comprenons rien. Notre ampèremètre n’est pas d’accord avec les testeurs, les mesures prises coupe-circuits ouverts et fermés ne sont pas cohérentes, et il ne semble pas y avoir une seule fuite mais plusieurs … bref, nous sommes complètement à la masse (ah ah ah). La nuit va tomber et nous nous apprêtons à abandonner nos recherches, fuite non résolue ; je veux juste installer mon multimètre à un endroit plus accessible que sous le plancher de la descente, en l’espèce à la table à cartes. Malheureusement, celui-ci ne détecte aucune fuite entre le « moins » du panneau électrique et ma reprise de cadène pourtant connectée à la coque … Vérification faite, les testeurs ne voient plus rien non plus, la fuite est résolue …. Bref, je suis soulagé mais frustré !

Nous avions prévu de ne passer que quelques jours ici, mais nous y sommes bien, nos batteries sont à 100% tout le temps grâce à Evinrude (notre éolienne, à qui Sarah ses parents ont maladroitement donné un nom de moteur hors-bord en hommage à la libellule de Bernard et Bianca), on capte Internet, et nous sommes bien accrochés dans le fond de sable. On aura quand même un coup d’adrénaline en entendant des coups de corne de brume pas très loin : un vieux grément qui tentait de prévenir son voisin de devant qu’il dérapait. Plus de peur que de mal pour eux (ils repartiront en mer après quelques tentatives), comme pour les trois autres bateaux que nous verrons déraper, heureusement avec des propriétaires réactifs à bord … c’est là qu’on est content d’avoir investi dans un mouillage surdimensionné ! Prochaine étape, Porto-Vecchio, où nous récupérerons mon frère (impatient de revoir sa nièce).

 

 

 

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