Retour d’expérience sur les professionnels du nautisme 1


En deux ans, nous avons eu l’occasion d’avoir affaire à quelques professionnels du secteur, et Lucy a également quelques histoires à raconter de sa vie avant nous; le constat est quasi unanime : faire appel à un pro coûte cher pour un résultat souvent médiocre. Ci-dessous un récit, forcément subjectif, mais – je l’espère – utile tout de même.

Commençons par le commencement. Lucy est construite en Floride aux Etats-Unis par un chantier mandaté par son premier propriétaire (Barracuda Yachting USA, aujourd’hui disparu), qui la revend à son second propriétaire, Jean-Yves Chauve, qui la ramène illico en Europe. En pleine transat, le Dr Chauve, marin aguerri, tente de raidir le gréement, mais c’est le pont qui se soulève, le chantier ayant omis d’installer des tirants de cadènes. Ledit chantier a également installé le vérin hydraulique de direction dans des coffres non étanches dans la jupe, et il n’a fallu que quelques jours pour que les durites en acier rouillent et fuient, provoquant une grave avarie de barre en pleine tempête (l’histoire est racontée en détail dans Voiles & Voilier numéro x … après une heure de recherche, force est de constater que je ne le retrouve pas !).

Quand on visite Lucy pour la première fois, quinze ans plus tard, elle revient d’un tour de l’Atlantique avec son quatrième propriétaire qui en a clairement pris soin. On voit certes que le bateau a vécu, signe entre autres des trois enfants qui ont gambadé à bord les douze derniers mois, mais à part les vernis passés, la peinture de pont en piteux état et quelques pets sur la coque, elle est vraiment prête à partir ! En plus, l’ancien proprio, vraiment sympa, s’engage à faire remettre en état à ses frais la peinture et les vernis avant la vente, de même que l’antifouling. « Je ne veux pas vendre un bateau dans cet état », dit-il. Nous, jeunes terriens inexpérimentés, sommes bien contents d’avoir un sujet de préoccupation en moins, d’autant que ceux-ci ne manquent pas à l’époque. Mais voilà, trois mois plus tard, la peinture de pont commence déjà à s’écailler sérieusement. Je ne le savais pas à l’époque, mais l’aluminium ne se peint pas si facilement : il faut enlever l’alumine mécaniquement à la meuleuse ou chimiquement à l’aide d’un acide de dérushage, rincer abondamment, sécher, et appliquer un primaire Epoxy dans l’heure (avant que l’alumine ne se soit reformée). Bref, le chantier au Portugal qui a géré les travaux a fait n’importe quoi, et tout est à refaire ! Quant à l’antifouling, le bateau était calé très bas et ils ne se sont donc pas occupés des ¾ de la dérive qui étaient alors cachés. Nous avons d’ailleurs eu une frayeur a posteriori sur la présence de cuivre dans l’antifouling appliqué – ce qui est interdit sur une coque en alu, sous peine de favoriser grandement l’électrolyse – mais heureusement l’ancien propriétaire a pu nous rassurer grâce aux factures du chantier.

Voilà ce qui se passe quand on peint de l’aluminium sans l’avoir préparé correctement (photo prise un peu plus d’un an après)

A l’époque, nous pensions partir directement après un été passé en Bretagne à préparer Lucy : direction la Polynésie. Nous avions juste omis de prendre en compte un détail : l’épidémie de virus Zika, et les implications sur nos projets de famille (les femmes enceintes contaminées par le virus, qui se transmet via les piqûres de moustiques, risquent de mettre au monde un bébé avec un grave retard mental)… Bref, nous ne sommes pas partis de l’autre côté de l’Atlantique, mais nous avons quand même préparé le bateau pour y vivre et aller en Méditerrannée. Mais les travaux réalisés à cette époque se sont majoritairement avérés de mauvais choix.

Commençons par LE truc qui s’est bien passé : nous avons rencontré à la Trinité sur Mer Xavier (chantier RNS) qui nous a fait quelques travaux à bord, et dont nous avons été très satisfaits (c’est d’ailleurs devenu un bon ami, donc désolé, vous ne savez pas si mon témoignage est sincère, il faut me croire sur parole…). Xavier nous a branchés avec un autre Xavier, gréeur chez Atelier Câbles (toujours à la Trinité), et ce dernier nous a très bien conseillés. Il nous a dissuadés de faire des travaux inutiles, et a super bien réalisé ceux qu’on lui a confiés (révision du gréement, bas-étais textile, installation de cadènes pour le frein de bôme, remplacement de la drisse de GV, achat de matériel de grimpe pour monter au mât…). Xavier toujours (le premier, donc) nous a aussi branchés avec un électricien marine ayant pignon sur rue puisqu’ils préparent tous les ans des bateaux pour le Vendée Globe, et là nous avons été beaucoup, mais alors beaucoup moins satisfaits. Petit récapitulatif des travaux qu’ils ont réalisés:

  • Installation d’un deuxième pilote. Malheureusement, l’installateur a décidé de mettre le moteur de la pompe hydraulique dans un coffre pas vraiment étanche (le même que celui du premier paragraphe), et a ensuite eu le toupet de nous dire que les coffres sont censés être étanches et qu’il ne pouvait pas le savoir… alors qu’il y avait, au moment de l’installation, 1cm d’eau de mer au fond du coffre… Il y a 50cm plus loin un local technique parfaitement sec où est d’ailleurs installé l’autre pilote, mais il aurait fallu démonter le bloc vérin/moteur pour passer les durites, pré-assemblé en usine. Au passage, à la livraison le pilote ne marchait pas, pour cause de mauvais firmware, et par la suite le pilote nous a lâché quand on en a eu besoin pour cause de mauvais dimensionnement d’un fusible. Autre mauvaise nouvelle, alors qu’on pensait qu’un pilote récent barrerait bien mieux que notre antique Raymarine, la réalité est toute autre (le nouveau est un Garmin, et si quelqu’un veut l’échanger contre une paire de chaussettes ou un tire-bouchon, on peut discuter). A leur crédit, quand le moteur du pilote a succombé à l’eau de mer après un mois ou deux, ils ont pris en charge le remplacement du moteur, que nous avons copieusement entouré de bande grasse pour éviter que notre mésaventure se reproduise.
  • Installation d’un chauffage à air pulsé Webasto. L’installateur a eu la drôle d’idée de prendre la prise d’air « frais » dans les toilettes, juste en face du trône. Finalement, il a reconnu que l’idée était douteuse, et a réalisé une installation plus conventionnelle, avec la prise d’air au niveau de la descente. Rien à signaler, ça marche bien, mais on se rend compte à l’usage qu’un chauffage à eau aurait sans doute été plus judicieux… bref, c’est à 95% notre faute, et à 5% celle de l’installateur, qui aurait pu nous aider à nous poser les bonnes questions, comme l’a fait notre gréeur.
  • Installation de 200W de panneaux solaires supplémentaires. L’installateur n’a pas jugé judicieux d’utiliser les mêmes caractéristiques que nos panneaux existants, ce qui est clairement sous-optimal pour le régulateur MPPT (d’après mes calculs réalisés en branchant la paire d’anciens panneaux puis la paire de nouveaux panneaux, puis les deux paires, on perd plus de 50W !). Le régulateur entrait parfois en conflit avec notre alternateur, et celui-ci cessait de charger les batteries qui n’étaient pourtant pas pleines. Il fallait alors redémarrer le moteur pour que ça reparte comme en 40. L’installateur a promis de revenir vers moi à ce sujet, mais j’attends toujours (enfin, plusieurs mois et plusieurs relances après, j’ai fini par abandonner…).
  • Achat d’un téléphone iridium extrême et pose d’une antenne extérieure. C’étant avant que nous réalisions que le combo iridium GO / Garmin inReach permettait d’avoir internet en illimité tout en gardant un moyen de communication étanche et autonome à prendre dans le radeau, le tout pour nettement moins cher… Au final, notre combiné iridium extrême à 1 500€ est toujours en attente de destinations lointaines, il n’aura servi que 3 jours lors de notre (deuxième) traversée du Golfe de Gascogne. Là aussi, si quelqu’un cherche un iridium quasi neuf (oui je sais, je ne l’ai pas bien vendu dans ce paragraphe).

L’ensemble de ces travaux devait être livré fin septembre, mais forcément quand un gros client appelle pour une urgence, on vous laisse imaginer qui passe en premier, et c’est donc avec deux semaines de retard que l’ensemble fut terminé, ce qui nous à fait dégolfer en plein mois d’octobre. Tout n’a pas été complètement négatif; par exemple, la connexion entre ma girouette et mon pilote, étape indispensable pour que ce dernier puisse barrer en mode « vent », ne leur a pris que cinq minutes à installer, alors qu’un « spécialiste électronique » chez un ship m’avait affirmé que c’était très compliqué. Comme vous le voyez, même quand je dis du bien d’un pro, je me retrouve à en dire du mal d’un autre…

En tout cas, entre la stupidité de commanditer des travaux avant d’avoir vraiment vécu à bord et de savoir ce dont on a besoin (et pas ce dont on pense avoir besoin du haut de nos 30 ans d’expérience dans un appart parisien), et une certaine désinvolture chez l’installateur, c’est près de 15 000 € qui ont été dépensés de manière douteuse… gloups !

Le fameux disque d’accouplement fissuré. Il amortir les chocs tout en isolant électriquement le moteur de l’arbre

Juste avant de partir, nous mandatons une expertise, condition sine qua none à un remboursement par l’assurance à la valeur réelle en cas de sinistre. L’expert est sympathique (à 950€ la journée, il peut) et semble compétent, mais au final son rapport mentionne des réparations vraiment triviales (une des vis d’un de nos chandeliers a du jeu, il y a une légère fissure sur le capot de nos feux de nav) tout en passant à côté de trucs vraiment importants (une grosse fissure dans le disque d’accouplement du moteur par exemple). Comble de l’absurde, l’assureur nous dit qu’il ne prendra pas en compte la valeur vénale déterminée par l’expert tant que nous n’aurons pas procédé aux réparations des « désordres mineurs » qu’il mentionne dans son rapport, alors que chacun sait qu’il y a toujours quelque chose à réparer sur un voilier…

Un an plus tard, nous sortons notre bateau de l’eau pour la première fois. Nous n’en menons pas large, d’autant que la remorque hydraulique du chantier vient de se briser, laissant au passage tomber un cata de plus d’un mètre de haut. En écoutant les grutiers (très sympas et très compétents au demeurant) discuter entre eux, on devine entre les lignes que ça fait des années qu’ils demandent au directeur une nouvelle remorque, celle-là menaçant de rompre à tout moment. Re-gloups ! Finalement, la sortie se fera sous Travel-Lift sans problème particulier (seul petit souci, le bateau n’était pas parfaitement calé et une des cales a enfoncé l’Epoxy de la coque, mais le chantier s’est montré très arrangeant pour faire les réparations et nous loger en attendant). Bref, on n’a absolument pas eu à se plaindre, mais le proprio du malheureux cata aurait probablement un autre avis…

Avance rapide jusqu’aux Baléares, où nos batteries de propulseur/guindeau se mettent en grève, me contraignant à une remise en forme intensive, puisqu’à l’époque nous changions de mouillage tous les deux-trois jours. Arrivés à Carthagène, nous remplaçons donc nos batteries, et j’en profite pour me plonger dans la configuration du moniteur de batterie et des chargeurs. Les batteries de services avaient été installées par un pro mandaté par notre prédécesseur à bord, et je ne m’attendais donc pas à trouver de problème dans l’installation actuelle : erreur. Le moniteur des batteries de service était configuré pour 280Ah alors qu’elles en font 600, et la tension du chargeur de quai était configurée pour des batteries au plomb classique alors qu’elles étaient au gel. Bref, encore un « pro », lui aussi très renommé, qui avait bâclé le travail.

Une installation réalisée par un pro. On voit bien que la charge/décharge des batteries n’est pas équitable, sans parler de la paire de câbles qui part directement au désal en sollicitant uniquement la batterie centrale (en bas de l’image)

A l’heure où j’écris ces lignes, après des heures de recherche, je viens de me décider à déclarer forfait concernant notre panne de propulseur et à faire appel à un pro. Celui-ci a tout de même mis 5 heures à trouver la panne (ou plutôt les pannes, ce sera l’objet d’un prochain article) et à réparer alors qu’il fait ça toute la journée, mais je suis ravi de me délester des 300€ qu’il me demande : son expertise est à ce prix et c’est normal ; après tout, j’en suis à une bonne vingtaine d’heures sur le sujet et je n’ai pas avancé d’un iota. Je suis par contre moins content quand je vois que la pièce qu’il a changée m’est facturée 30% plus cher que ce que je trouve en 30 secondes sur Internet. Et bien entendu, un geste commercial est hors de question, je me fais vertement recevoir lorsque je demande ce qu’ils peuvent faire (il parait qu’ils « détestent ce genre de questions idiotes ». Oui, c’est entre guillemets parce que ce sont leurs termes exacts…).

Ne pas oublier que les 65€ de l’heure (!!) facturés par un électricien marine compétent comportent aussi tout son temps de formation

Voilà pour les faits ; maintenant, notre analyse !

Avec du recul, nous avons quelques idées sur ce qui se passe : quand nous travaillons nous-mêmes sur notre bateau, nous coupons les cheveux en quatre, passons des jours à creuser le moindre dilemme, et ne sommes pas prêts à prendre le moindre risque sans avoir soigneusement pesé tous les tenants et les aboutissants. Quand c’est un pro qui travaille, pour rester compétitif, il vise les 20% de travail qui donneront 80% du résultat, étant de toute façon en concurrence avec d’autres devis bâtis sur ce principe ! Pourquoi passer une heure à dimensionner un fusible, on en prend un au pif et ça fera sans doute l’affaire, au pire il suffira de le changer ! Pourquoi changer une remorque en fin de vie avant qu’elle ne lâche vraiment… L’assurance paiera et en attendant ça fait des économies ! Pourquoi perdre du temps à installer un pilote de manière vraiment pérenne quand on sait que 99% des bateaux ne quittent jamais le port…

Dit différemment, les pros font des choix économiques pour nous sans nous les annoncer clairement. Plutôt que de nous proposer l’installation et le matos top-moumoute a 5 000€, l’installation clean avec du matos moins bon à 3 000€, et le truc vite fait strict minimum en mode « ça servira une semaine par an » à 1 500€, ils choisissent pour nous du matos passable et une installation passable – dans le meilleur des cas – sans nous donner le choix; inacceptable pour qui considère son bateau comme sa maison !

En ce qui nous concerne, nous ne faisons plus appel aux pros que dans les situations suivantes :

  • les tâches particulièrement chronophages / épuisantes / inintéressantes pouvant être effectuées correctement par de la main d’œuvre bon marché (par exemple poncer la coque)
  • les travaux demandant un équipement particulier (travel-lift pour sortir de l’eau par exemple)
  • les travaux demandant un savoir-faire compliqué à acquérir, comme par exemple souder de l’alu ou diagnostiquer une panne qui nous résiste
  • des conseils ponctuels dans le cadre d’un plus grand projet. Si nous avions par exemple un générateur à installer, nous n’hésiterions pas à payer une demi-journée un pro pour qu’il nous mette sur les rails et vienne valider notre installation une fois terminée

Entre le karcher, le ponçage et l’antifouling, il y en a pour une trentaine d’heures de travail éreintant au bas mot. Je l’ai fait une fois, j’ai eu mal au dos pendant une semaine, on ne m’y reprendra plus !

Pour tout le reste, c’est terminé, nous faisons nous-mêmes : le résultat final est bien moins cher (absence de main d’œuvre oblige) et surtout de meilleure qualité.

Si malgré tout nous devions faire appel à un pro, nous lui demanderions un devis détaillé pour une installation parfaite (quitte à ce que le devis soit salé). Nous l’étudierions en profondeur jusqu’à maîtriser l’intégralité des éléments du processus, et nous discuterions en connaissance de causes les endroits où nous sommes prêts à transiger sur la qualité du résultat final. Une fois d’accord, nous rédigerions une feuille de route détaillée en tachant d’explorer à l’avance les difficultés potentielles et comment les résoudre, ce qui diminuera d’autant les conflits potentiels une fois les travaux lancés. Quant aux délais annoncés, nous les considérerions comme purement indicatifs.

Les pros ne sont en général pas malhonnêtes, en tout cas en France (ailleurs, ils ne se gênent manifestement pas pour vous facturer de l’antifouling haut de gamme tout en appliquant du bas de gamme hyper dilué, mésaventure arrivée à des amis qui ont retrouvé 5cm d’algues sur leur coque 6 mois après avoir tout repeint, sachant qu’ils ont navigué non-stop pendant cette période !), et ils sont parfois très compétents, mais on ne peut pas se reposer sur eux les yeux fermés (je me répète ?).

L’autre conseil que nous aurions à donner, c’est que contrairement aux réparations qu’il faut toujours faire dès que possible, les travaux d’amélioration doivent être repoussés au maximum, surtout s’ils sont coûteux. N’installez pas un chauffage parce que vous pensez peut-être hiverner quelque part un jour. N’achetez pas un téléphone satellite en vue d’une hypothétique traversée. Les équipements changent, les besoins aussi, et les prix baissent. En attendant avant de vous décider, vous aurez du meilleur matériel, plus adapté à votre situation !

Voilà, on espère que cet article vous permettra d’éviter certains écueils : si on l’avait lu il y a deux ans, on aurait fait de belles économies !

 


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Commentaire sur “Retour d’expérience sur les professionnels du nautisme

  • GIROUDON

    Bonjour,
    Merci pour cet article et votre blog !
    Je partage complètement votre avis après une seconde campagne de travaux de 5 mois réalisés sur mon voilier (Atlante Chantier Mallard) par mes soins!!!
    Ca me rassure de partager cet avis car souvent quand je parle avec d’autres propriétaires, sans doute plus fortunés, j’ai l’impression de passer pour un dingue !!!
    Au plaisir de vous croiser sur l’eau, bonne nav’ !!!