De retour en Atlantique


De l’eau a coulé sous la coque depuis notre dernier article, un lendemain de tempête à Almerimar. J’écris tempête, mais les marins attentifs pesteront probablement ; il s’agissait d’un coup de vent, même pas fort ! C’est depuis Peniche, au Nord de Lisbonne, que j’écris ces lignes, mais chaque chose en son temps.

Ce que nous avons fait en premier, c’est bricoler (enfin, en vrai nous avons dormi, pris une douche chaude, etc. mais dans l’esprit, c’était bricolage avant tout). Comme toujours quand on est un peu secoués par Neptune, on se remet en question, on cogite, et on bricole. On se dit que la prochaine fois sera mieux gérée. On a aussi l’impression de régresser ; après tout, Lucy a connu mer plus agitée sans coup férir, et nous aussi ! On ne se demande pas ce qu’on fait là, jamais. On se sent tellement plus vivants que dans nos anciennes vies parisiennes, quand bien même furent-elles passées à sauver des gens pour l’une d’entre nous (votre serviteur jouait pendant ce temps tranquillement au shadock, assis derrière un ordinateur).

En général, les ports sont placés en bord de mer (si, si) avec des digues autour pour les protéger. Une fois de temps en temps, on en trouve un au fond d’une anfractuosité naturelle, et il se retrouve du coup ceint complètement par la ville, comme le Vieux Port de Marseille. Pour Almerimar, les architectes ont dessiné de grands sillons s’enfonçant au milieu des immeubles, qui ressemblent grandement à des décors de carton-pâte style DisneyLand, probablement bondés en été mais désespérément vides en hiver. C’est aussi le port le moins cher de toute la côte, ce qui explique qu’il soit rempli de bateau de voyages rarement habités, souvent hivernés, et – du moins le craint-on – parfois oubliés là. Un de nos passe-temps favori est de nous promener sur les pontons en admirant les voiliers. Fixations de panneaux solaires orientables, voiles d’ombrages intégrés à la bôme, passerelles pratiques et peu encombrantes, les bricolages astucieux abondent, et viennent grossir notre longue « to do list ». Un jour, parait-il, l’on finit de réparer son bateau, et l’on peut commencer à l’améliorer !

Nous vivons à Almerimar un fort coup de vent au port, avec des rafales à plus de 50 nœuds. Lucy a beau être solidement amarrée à grands renforts de pointes et de pendilles au vent, c’est toutes les heures que je me lève pour vérifier que tout va bien. Au passage, je vois que les marineros, eux aussi, veillent. Bateau après bateau, ils inspectent chaque amarre sous le vent glacé… rassurant, et loin d’être habituel. Un mois plus tard, à Cascais, le bateau en face de nous casse sa garde (un bout de 4mm seulement pour un 35 pieds !) et tape doucement de l’étrave contre le ponton …. J’appelle la capitainerie qui finira par dépêcher quelqu’un pour rafistoler le même bout ! Vraiment pas sérieux de la part d’un des ports les plus clinquants (et chers) de la côte … mais je m’égare.

Le bateau à babord est loin, il y a plus d’un mètre entre le quai et l’étrave, mais sur tribord ce coin de quai n’est qu’à 20 centimètres de notre coque dans les rafales !

Entre deux travaux, nous gardons aussi un œil sur la météo ; nous attendons la bonne fenêtre pour quitter la Méditerranée et retrouver la houle longue et les eaux poissonneuses de l’Atlantique ! Celle-ci se présente au bout d’une dizaine de jours, et nous avalons la route d’un trait jusqu’à Cadix, avec juste une petite étape à Barbate. Contrairement à la dernière fois, nous avons parfaitement millimétré notre arrivée dans le détroit, et c’est poussé par un fort courant de marée que nous quittons la mer qui nous a hébergés pendant un an. Notre dernier passage sous le rocher de Gibraltar s’était fait de nuit et au moteur ; nous n’étions encore que de futurs parents. Cette fois, c’est au soleil, sous voiles, et à trois que nous filons vers le soleil couchant !

A Cadix, nous accueillons d’abord mes beaux-parents pour une semaine ; Jean-Michel est un sacré bricoleur, et il me débloque quelques dossiers, comme ces winches de mât rongés par le sel et impossible à déboulonner : même le tournevis à frapper a déclaré forfait. C’était sans compter sa boulonneuse, outil dont j’ignorais jusqu’à l’existence. La boulonneuse, comme son nom l’indique, boulonne, mais surtout déboulonne. Les boulons récalcitrants sont décapités sans autre forme de procès, et nous avons maintenant quatre winches de mât bien huilés – on ne graisse jamais un winch sous peine d’y retrouver des grumeaux – et correctement isolés (inox + aluminium + eau salée = amour fusionnel). Il nous bricole aussi une pièce d’alu sur mesure pour que notre ancre se cale ailleurs que sur la coque, un autre de nos dossiers en cours ! Nous passons le week-end de Noël à Séville, avec au menu promenades sur les bords du Guadalquivir et bains à volonté. La baignoire avec eau chaude illimitée, ou la principale lacune de notre mode de vie (enfin, sauf pendant l’été en Méditerannée, bien sûr)…

Notre nouveau dispositif de stockage de l’ancre, fait maison, merci Jean-Michel ! On notera aussi nos protections d’amarres artisanales à 10 cents pièce !

Un peu plus tard, nous sommes rejoints par mon oncle Oudi et ma cousine Lia. Malheureusement, le temps ne se prête pas vraiment à un tour en mer, mais au moins il y a du soleil. Ils nous apprennent que le mercure est descendu en dessous de zéro à Paris (non, nous ne regardons pas quotidiennement la météo parisienne pour nous mettre de bonne humeur). On déambule donc dans les petites ruelles pavées (Elaya commence à avoir l’habitude d’être secouée dans sa poussette sur les pavés andalous), on déguste des churros con chocolate et autres spécialités dans les restos du coin, et on profite du soleil dans cette magnifique cité médiévale – Cadix est la plus vieille ville d’Europe de l’Ouest !

Au final, avec toutes ces visites, nous aurons passé plus de trois semaines au port, et comme d’habitude, au moment de se remettre en route, nous ne sommes pas certains de savoir encore naviguer. La route de l’Ouest s’est ouverte, avec une belle fenêtre pour passer le cap St-Vincent dans la pétole avant de remonter vers Sines avec le vent dans le dos, mais la houle est de la partie, et la nav très inconfortable. Elaya est malade, et nous décidons de faire cap sur Huelva, notre port de repli : tant pis pour la fenêtre. A deux heures de Huelva, la houle se calme, notre petite chérie va mieux, et nous virons à nouveau vers le cap St-Vincent. Si nécessaire, nous pourrons toujours faire une étape dans la lagune de Faro ou à Portimao. Ce ne sera pas nécessaire, et la route Cadix-Sines est avalée d’une seule traite, avec quand même pas mal de moteur ; on ne peut pas tout avoir ! Trois jours plus tard, nous arrivons à Cascais et y amarrons Lucy pour un mois. Chaque pointe est doublée, Lucy est en mode bondage. Nous avons prévu de repasser en France pour quelques jours, en particulier pour la visite obligatoire des 9 mois chez le pédiatre.

Nous accueillons aussi ma maman qui vient passer quelques jours à bord ; des balades à Lisbonne étaient au programme, mais Elaya a décidé d’être malade et nous restons donc tous bien au chaud, panneaux de pont fermés et chauffage électrique allumé. J’en profite pour bidouiller une alarme qui doit sonner si l’électricité du ponton saute, histoire de pouvoir laisser le soufflant tourner sans crainte de se réveiller avec des batteries à plat, ce qui n’est jamais très bon pour leur longévité. En pratique, ça doit sonner si la tension descend sous les 13 volts, bien en dessous de ce que le chargeur de quai fournit. Sarah se moque un petit peu de moi ; après tout, ça fait déjà trois semaines que nous sommes ici sans problème. A 3h du matin, une sonnerie stridente nous réveille : tout le ponton est plongé dans le noir… bref, on n’est jamais trop prudents !

La remontée vers la Bretagne, où nous espérons être au printemps, est assez fastidieuse : les vents dominants sont du Nord, et surtout la houle de Nord-Ouest est omniprésente. Il arrive que les vents se montrent plus favorables, ou que la houle se calme un peu, mais rarement les deux en même temps… Il faut donc accepter de faire du moteur, de se faire balloter, ou d’attendre longtemps les fenêtres météo dans l’ambiance assez glauque des marinas portugaises en hiver : il n’y a personne, il fait souvent gris, et le soleil se couche très tôt… Nous décidons donc de tricher un peu et de rester à l’heure française (et espagnole), c’est-à-dire que pour nous le soleil se couche « seulement » à 18h30 (au lieu de 17h30)…

La dernière fois que nous avons fait cette route, il y a deux ans, nous avions ignoré la houle et foncé avec le vent : beaucoup de milles et de bolinos avalés en un temps record. Cette fois, Elaya change la donne. Les navigations musclées lui donnent le mal de mer, et c’est contagieux. C’est aussi triste et injuste, de voir ce petit-être livide, elle qui n’a pas son mot à dire, elle qui compte sur nous pour prendre soin d’elle ! Bref, une fois nous a suffi, et nous attendons désormais que la houle cesse, quitte à faire du moteur plus que de raison. Vivement le printemps, vivement la Bretagne !

Bon, on fait quand même un peu de voile, hein !

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