Les plaisanciers du dimanche


Après un mois passé dans les ports marseillais à préparer notre maison flottante pour l’arrivée de sa nouvelle occupante, et des petites vacances loin de la mer, Lucy commence sérieusement à s’encroûter, et nous à nous demander si l’on saura encore naviguer. C’est donc à point nommé que Lévi et Marianne nous rendent visite en ce premier week-end de vacances scolaires marseillaises.

L’aller-retour à la gare nous donne un petit aperçu de la circulation dans la cité phocéenne, et pour leur première soirée, nous restons à Port Corbière, à nous délasser. Nous avons tendance à oublier à quel point passer une nuit sur un voilier, même dans un port, est dépaysant pour un « terrien ». En tout cas nos invités semblent très enjoués, même si c’est peut-être juste le rosé qui agit – enfin, pour ceux qui ont droit à l’alcool bien sûr !

Le Lendemain, nous nous levons de bonne heure et partons tirer quelques bords entre l’île du Frioul et le continent. Il fait très beau, étonnamment chaud pour un mois d’avril encore très jeune, et il y a du vent ! C’est Lévi qui barre, dans des conditions finalement assez compliquées, car la proximité des falaises provoque un vent très instable. De mon côté, je suis focalisé sur la foule qui s’accumule petit à petit sur l’eau, et je ne suis pas très rassuré. Les gens font n’importe quoi ! Tribord amure à la voile, un autre voilier au moteur vient nous couper la route, nous obligeant à manœuvrer ; il ne nous avait tout simplement pas vus. C’est dans ces situations qu’on regrette d’avoir un petit klaxon plutôt qu’une corne de brume à compresseur, achat qui me démange de plus en plus.

Le vent soufflant du sud, nous arrivons vers midi sur la côte Nord de l’île, à la recherche d’un mouillage, et nous allons de surprise en surprise. Les plaisanciers que nous interrogeont n’ont pour la plupart pas la moindre idée de la longueur de chaîne qu’ils ont mouillée ! Des amis qui voyagent depuis 40 ans nous ont même raconté qu’ils ont un jour croisé un allemand qui avait mouillé 10m de chaîne dans 12m d’eau, et qui s’étonnait de « déraper » sans cesse.

Photo prise 30 secondes avant qu’une vedette nous dépasse à toute vitesse pour nous piquer notre spot …

Les petites criques qui jalonnent le Frioul sont plus jolies les unes que les autres, mais totalement bondées. Ça nous rappelle la Bretagne au mois d’août, sauf que les plaisanciers semblaient y avoir au moins une vague idée de ce qu’ils faisaient.

Nous continuons donc notre route vers la baie du Grand Soufre, et c’est sur la pointe de la Crine que nous jetons notre dévolu, et notre ancre. Quelques voiliers de voyage sont déjà là, facilement reconnaissables à mille détails, au premier rang desquels leur portique. Contrairement à leurs homologues plus sédentaires, les voiliers de grande croisière disposent presque tous de cet imposant arceau arrière qui sert à tout : support d’antennes, d’éolienne, de panneaux solaires, et bien sûr stockage de l’annexe sur bossoirs. Quant aux voiliers plus sédentaires, ils ont tendance à éviter cet appendice qu’ils jugent disgracieux.

La compagnie nous inspire beaucoup plus confiance, et nous jetons pour la première fois notre nouvelle ancre Spade, surdimensionnée pour cause de projets lointains de voyages en Patagonie.

Sitôt mouillés, nous assistons à une scène à peine croyable. Une vedette vient jeter son ancre à quelques encablures derrière nous, et recule directement sur un des voiliers dont les occupants prenaient tranquillement l’apéro. Nous sommes trop loin pour entendre la conversation, mais la conclusion nous éberlue : c’est le voilier qui lève l’ancre et part s’installer 50m plus loin. Irréel.

Heureusement, en fin d’après-midi, tout ce petit monde regagne ses pénates sur la terre ferme. Au coucher du soleil, nous sommes presque seuls au monde. A 50m à l’Est, un petit mât danse. A 50km à l’Ouest, une immense boule rouge plonge dans des profondeurs bleutées. Entre les deux, des nuées d’oiseaux, quatre verres, une bouteille de cidre, et une d’eau pétillante. Courage, Sarah, plus que deux mois !

La nuit est très calme pour nos standards, mais nos invités sont un petit peu incommodés par un léger roulis. C’est l’occasion de tester la fameux Parahoule de Pierre Lavergne, astucieux dispositif qui devrait reléguer cet agaçant phénomène au rang de lointain souvenir. Malheureusement, le dispositif est moins efficace qu’espéré. Après discussion avec l’inventeur, il semble que le problème puisse être le poids de notre voilier (presque le double de celui pour lequel l’engin est prévu), et il nous fait parvenir gratuitement des pales plus adaptées – en théorie – au gabarit de Lucy ; sympa ! J’en ai aussi profité pour acquérir un petit inclinomètre électronique qui va me permettre d’enregistrer avec exactitude nos mouvements au prochain mouillage avec et sans le Parahoule, histoire de ne plus se fier qu’à de vagues impressions pour juger du résultat !

 

Notre passager clandestin, une étoile de mer !

Il est temps de relever pour la première fois notre nouveau mouillage. Nous constatons d’ailleurs qu’un petit habitant s’est incrusté sur notre chaîne, et mettra cinq bonnes minutes avant de se décider à replonger ! Nous quittons la baie du Grand Soufre, et cette fois, c’est Marianne qui barre et qui nous emmène faire un tour dans le vieux port. C’est la deuxième fois que nous y entrons, et nous avons à nouveau cette impression féérique. Ce port ne ressemble à aucun autre, et se contenter d’arpenter ses bords ne lui rend pas totalement justice. Pour l’instant, Lucy y est un peu « persona non grata », car toutes les places sont prises par les régatiers du moi d’avril. Mais dès le mois de mai, nous y reviendrons avec plaisir : le Vieux Port de Marseille sera le premier port de la Coquillette, la chanceuse !