Les petites blagues du propulseur d’étrave…


A l’avant du bateau (à la proue quoi), on a une sorte d’hélice qui nous permet de diriger le nez vers la gauche ou la droite, pour tourner plus facilement (un navire de 13,40 mètres de long et de 15 tonnes, ça ne se pilote pas aussi facilement qu’un vélo, on l’a appris à nos dépends…). Les manœuvres de port, qui étaient notre hantise au début, sont devenues beaucoup moins stressantes – enfin, quand il n’y a pas 3 nœuds de courant ou 20 nœuds de vent. Le seul problème, c’est que Benjamin (notre propulseur d’étrave, que nous avons nommé ainsi d’après un ami, car on ne peut vraiment pas compter sur lui, sauf pour faire de mauvaises blagues) est assez joueur. Il ne prévient pas, mais tout à coup, bam, il tombe en panne, au moment crucial où, en pleine manœuvre, nous pensons qu’il va redresser le virage. Première mésaventure, dans le chenal d’accès à Vannes. Vannes est au fond d’une rivière, et on ne peut y entrer que lorsque l’écluse (c’est un port « à flot », car l’écluse permet qu’il y ait de l’eau même quand la marée est basse et qu’il ne devrait y avoir que de la vase) et le pont de voitures (en cours de réhabilitation pour les piétons et les vélos) sont ouverts, c’est-à-dire pendant 10 minutes à une heure d’intervalle, 3 fois dans la journée maximum, quand la marée tombe aux heures « ouvrables ». Bref, c’est galère. Et si vous trouvez le bon créneau, attention, il faut arriver en avance, car s’il n’y a personne devant la porte à l’heure prévue, ils ne se donnent pas la peine de l’ouvrir…

Donc nous prévoyons assez large mais n’arrivons finalement que 10 minutes avant l’ouverture. Il y a un petit ponton pour s’amarrer au milieu de la rivière en attendant que Sésame veuille bien faire son office. On traîne un peu en se disant « peut-être qu’ils vont ouvrir en avance, c’est quand même un peu chiant de s’amarrer juste pour 5 minutes… » Finalement Brann prépare les amarres et les pare-battages et je me lance dans la manœuvre pour mettre le bateau le long du ponton. Comme il y a déjà un bateau, je me dis que le plus simple est de faire demi-tour derrière lui et de mettre dans le même sens que lui (la suite me prouva que non…). Début du demi-tour dans le chenal étroit, et là, rien, aucune réponse du propulseur, je maltraite le petit joystick, rien à faire, pas de bruit caractéristique (sorte de mini-corne de brume). J’essaye de rattraper le demi-tour à la barre, mais ayant ralenti pour ne pas arriver à fond dans le bateau déjà amarré, je n’ai plus assez de vitesse, le courant nous embarque, et nous nous retrouvons en travers du chenal, bloqués entre les perches vertes et rouges, plaqués contre elles, avec des possibilités très réduites.

Il nous faut presque 10 minutes pour arriver à sortir de ce mauvais pas (Brann prend la barre pendant que j’essaye de repousser les perches centimètre par centimètre). Ca tombe bien, les portes s’ouvrent, et une voix sort d’un haut-parleur du côté de l’écluse : « bateau Lucy, vous pouvez aller vous mettre à couple de la vedette de passagers Le Rhuys sur tribord » (nous avions appelé à la VHF avant d’arriver pour demander si une place était disponible). Nous faisons signe que nous avons compris, et traversons l’écluse assez honteux (ils ont dû bien rigoler dans leur tourelle à nous regarder galèrer !), avec des traces de peinture verte sur la coque, mais heureusement pas d’autre dégât ! Sitôt arrivés, Brann regarde dans la soute à voiles où se situe le moteur du propulseur d’étrave, mais quand on le teste, il fait mine de rien, le pervers, et semble fonctionner normalement. Mystère mystère…

Port de Vannes, avec les bateaux entrés par l'écluse à la queue leu leu

Port de Vannes, avec les bateaux entrés par l’écluse à la queue leu leu

La deuxième mésaventure du propulseur d’étrave (je le soupçonnais d’être un peu misogyne, car il ne faisait le coup qu’à moi – nous effectuons les manœuvres à tour de rôle) survient alors que nous arrivons dans le petit port d’Argol sur l’île d’Hoedic. En plein mois de juin, les tonnes (grosses bouées métalliques rondes reliées à une masse au fond de l’eau) sur lesquelles s’accrocher sont déjà entourées de bateaux (les marguerites), mais il reste un peu de place sur celle du milieu. Demi-tour dans le petit port pour arriver face au vent et parallèle au bateau auquel on prévoit de s’accrocher, et là… plus de propulseur (on le teste régulièrement en début de manœuvre maintenant qu’il nous a fait faux-bond une fois). Alors qu’il fonctionnait 5 minutes plus tôt !

Évidemment, il y a 15 à 20 nœuds de vent avec des rafales, de travers, et nous commençons à dériver (rapidement) sur une des marguerites, quand je vois un jeune homme sur un des bateaux qui se précipite sur un gros pare-battage accroché à sa coque. Il crie en même temps à sa copine : « vite, la grosse Bertha, ils nous foncent dessus ! » Nous évitons la collision avec un sourire contrit et un « désolés pour la frayeur ! », et réussissons après plusieurs tentatives infructueuses à nous accrocher au bateau prévu et à la tonne. Maudit propulseur, impossible de comprendre ce qui lui arrive, le lendemain il est en pleine forme. Au passage, c’est comme ça que nous avons fait la connaissance (de loin) de Xav’ et Nat’, que nous rencontrerons réellement à la Trinité un mois et demi plus tard (c’était eux avec la grosse Bertha).

Port d'Hoedic, un jour calme

Port d’Hoedic, qui semble désert… mais en fait tous les bateaux sont derrière nous ou sur les côtés !

Troisième lâchage du propulseur, Brann est à la barre cette fois-ci (bon, je retire mes accusations de misogynie), et nous entrons dans le port de Groix, Port Tudy. Même configuration qu’à Hoedic, des tonnes dans la partie droite du port, car les pontons sont pleins (on est en plein mois de juillet, c’est encore pire!). Les tonnes débordent également de bateaux, et il reste un petit couloir dans lequel se faufiler. Sauf que des ferrys entrent et sortent régulièrement par ce petit couloir – et ils ne manoeuvrent pas, ils foncent dans le tas… Toujours des rafales de travers – sinon ce ne serait pas drôle – et nous finissons cette fois-ci par toucher un peu brutalement le bateau contre lequel nous nous mettons à couple (parallèle à lui, accrochés bord à bord), car Benjamin a encore décidé de nous laisser tomber sur la fin du virage. Un bruit de métal contre métal se fait entendre, nous nous précipitons à l’avant, pas de dégât apparent, ouf.

Sauf que quelques heures plus tard les propriétaires du bateau en acier rouge à coté de nous reviennent et constatent qu’un de leurs chandeliers est tordu. Mais bien tordu. On est horrifiés, c’est la première fois qu’on abîme un bateau (en dehors du nôtre !), et nous proposons de donner notre numéro d’assurance et nos coordonnées. Mais la chance est avec nous (enfin, si on exclue les facéties de Benjamin), le couple de retraités – très sympathique – ont construit leur bateau eux-mêmes. Nous les aidons à remettre leur chandelier un peu plus droit, et ils nous disent : « bon, ça nous coûtera juste une baguette de soudure et quelques heures de travail, mais pas de souci, vous ne nous devez rien ». Gros soulagement, mais l’anxiété des manœuvres de port revient au galop… Car on ne trouve toujours aucune explication aux pannes intempestives de notre fichu propulseur d’étrave ! To be continued…

Port Tudy à Groix, partie avec les pontons en premier plan

Port Tudy à Groix, au mois de juillet


A propos de S

S. est médecin urgentiste et journaliste scientifique, passionnée de lecture, de voyages, de musique, de thé et de chats. Et maintenant de bateaux !

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